Homélie de Mgr Delarbre – Ordination presbytérale de Joseph Nguyen, 23 juin 2024

Homélie : vidéo et texte

Homélie à l’occasion de l’ordination presbytérale de Joseph Nguyen

Dimanche 23 juin 2024, 16h, cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence

Le prêtre, homme de la Présence

(Hb 5,1-10 ; Jn 15, 9-17L)

 

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime »

Par ces mots, le Christ exprime la grandeur de la vocation chrétienne à l’amour. De diverses et multiples manières, le peuple de Dieu, éclairé et soutenu par l’Esprit du Seigneur, guidé et emporté par son onction sainte, trouve les voies de l’amour de Dieu et du prochain, à l’imitation de Jésus Christ. Cette onction de l’Esprit est une onction de témoignage, car l’amour du prochain et l’amour de Dieu sont les deux langages universels qui n’ont pas besoin de mot, mais plutôt d’actes, pour être entendus et compris. Vocation à l’amour et onction de témoignage sont les plus hautes participations à la vie même du Christ qui le premier accomplit en son entièreté et jusqu’au sacrifice de sa vie, le commandement qu’il enseigne et l’enseignement de ce qu’il commande. Il incarne en notre chair et en notre histoire l’Amour du Père et l’onction de témoignage qu’est l’Esprit Saint. Parmi les vocations chrétiennes à l’Amour, il en est une qui participe de manière sacramentelle, c’est-à-dire comme un signe réel, à l’incarnation en Jésus du langage universel de la charité. C’est la vocation presbytérale.

Le prêtre est signe réel et visible de la présence active du Christ en son Eglise et en notre humanité.

 

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime »

Pour porter ce signe, le prêtre est lui-même en chemin vers l’accomplissement du commandement d’amour et du don de soi. D’un côté, la grandeur de l’appel qui l’a mis en route pour un honneur qu’il ne peut revendiquer, de l’autre, un pauvre homme en chemin, étreint par les faiblesses qu’évoque l’auteur de l’épitre aux Hébreux. Mais il ne lui a pas été demandé d’être fort, il lui a été demandé d’aimer. Même les faibles, et peut-être surtout les faibles, peuvent donner leur vie. Il ne lui a pas été demandé d’être grand, il lui a été demandé d’être petit. Même les petits, et peut-être surtout les petits, peuvent donner leur vie. Il ne lui a pas demandé d’être premier, mais d’être dernier. Même les derniers, et surtout les derniers, peuvent donner leur vie. Il ne lui a pas été demandé d’être heureux, même ceux qui pleurent, surtout ceux qui pleurent peuvent donner leur vie. La faiblesse, la petitesse, l’obscurité, les larmes ne sont pas des obstacles pour aimer et pour donner sa vie. Elles n’empêchent pas de manifester le signe réel de la présence du Seigneur. Image de son maître, le prêtre aussi apprend l’obéissance par ses souffrances. Le prêtre n’appuie pas son ministère sur sa force, qui est fallacieuse et ne vient que de lui, mais sur sa faiblesse, qui laisse part au Seigneur et à son action.

Cette transparence est nécessaire pour laisser voir la Présence.

 

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime »

Au prêtre, il n’est pas demandé d’être arrivé et d’avoir aimé, mais d’aimer. Ceci est conjugué au présent, « rien que pour aujourd’hui », comme le murmure sainte Thérèse à l’oreille de tous les prêtres pour lesquels elle a tant prié, tant offert et pour lesquels elle œuvre encore depuis le ciel qu’elle passe à faire le bien. C’est aujourd’hui Joseph que tu donnes ta vie pour ceux que tu aimes. Ton amour d’hier n’est plus là. Ton amour de demain n’existe pas encore. Mais cet acte d’amour d’aujourd’hui en ton ordination est pour chaque jour. Chaque jour consentir, chaque jour s’étendre au sol, chaque jour être relevé, chaque jour recevoir, chaque jour donner et chaque jour aimer. Ce jour ne veut pas connaître le passé, il s’indiffère du futur, il est le jour du don présent, le jour que l’on ne rappelle pas une fois qu’on l’a donné, le jour auquel on ne prétend pas tant qu’on ne l’a pas donné.

Ainsi le prêtre est un homme du présent, qui ne se préoccupe pas de passé, ne s’inquiète pas d’avenir.

 

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »

Cet amour, Joseph, tu le célèbreras à l’autel et par toi il adviendra comme Présence sacramentelle du Seigneur. Cet amour, tu le célèbreras à l’autel, comme un don Eternel, mais donné pour aujourd’hui. Le pain eucharistique est donné, comme il est dit dans l’oraison dominicale, comme pain de chaque jour et comme le pain quotidien. Il est comme la manne au désert, que l’on ramasse pour suffire juste, sans la conserver d’hier, sans l’amasser pour demain. Pense à cela quand le Mauvais te murmurera à l’oreille des regrets quant au passé ou des craintes quant à l’avenir. Pense à cela Joseph : aujourd’hui seul suffit. Aime, aime au présent, Dieu et ton prochain, dans l’exercice de ce jour, dans l’exercice quotidien de ton ministère, quotidien et pour ce jour, comme le pain demandé au Notre Père, comme le pain consacré à l’autel. Il suffit pour aujourd’hui. De sa grâce, le Seigneur ne te promet rien que tu puisses conserver d’hier, rien que tu puisses amasser pour demain. De sa grâce qui seule suffit, il te donne chaque jour la juste mesure quotidienne. C’est ainsi que tu es aimé et c’est ainsi qu’il t’est demandé d’aimer et de servir : au présent. Le prêtre est un homme au présent.

 

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime »

Cet amour comme don de soi, n’est pas seulement conjugué au présent, il est aussi d’être présent. L’Eucharistie est le sacrement de l’amour présent et qui au cœur de chaque jour est présence de Dieu qui s’est fait présent, donné. Aimer, c’est donner sa présence. La tentation est toujours de courir de droite et de gauche, soit en s’épuisant sans fruit, soit en s’affairant sans rien faire, toujours en s’épargnant de donner. Or, l’amour suppose d’être là. Le Seigneur te donnera la grâce d’une intense et multiple activité pourvu que tu sois présent au moment donné, présent à chaque instant. C’est l’autre secret de ceux qui aiment, qui aiment beaucoup et qui aiment largement. Ils ont toujours du temps pour aimer davantage encore, ceux qui savent aimer au temps donné. Ne te soucie plus au moment présent de ce que tu as fait avant, ne te préoccupe pas de ce que tu dois faire ensuite, pour l’instant, demeure en présence ici et maintenant, quoi que tu fasses. Tu pries ? Tu es là. Tu célèbres ? Rien d’autre ne compte. Tu reçois quelqu’un ? Il est le seul qui importe à ce moment. Tu travailles ? Sois à ce que tu fais. Tu te reposes ? N’y oppose rien. Tu manges ? Savoure. Tu bois un verre d’eau ? Sois assoiffé.

Un prêtre est un homme de la présence. Ainsi il témoigne de la Présence divine et il peut en consacrer le signe.

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime »

Joseph, de cet amour divin, tu seras donc le signe réel de son action et de sa présence. A travers ton humanité et pour ton Eglise. Tu appuieras ton ministère non sur tes forces, mais sur ta faiblesse qui laisse agir le Seigneur. Tu seras un homme du présent, qui attend du Seigneur ce dont il a besoin pour aujourd’hui seulement, sans regretter le passé, sans t’inquiéter d’avenir. Tu seras un homme au présent car c’est ainsi que l’on aime, au moment donné. Et tu seras un homme de la Présence, celle de Dieu, pourvu que tu donnes déjà la tienne, de présence, pleinement là à chaque instant, en chaque lieu.

Tels sont les secrets du don et les secrets de l’amour, les secrets du ministère au bout du compte.

Amen.